Premi re partie (en mani re de prologue) De l'h tel de Londres au gymnase Znamenski Un ciel d'une limpidit presque orientale, un beau ciel clair, lumineux, bleu comme une turquoise de Nichapour, s' tendait au-dessus des maisons et des jardins de la ville encore endormie. Dans l'aube et le silence on entendait seulement les cris des moineaux qui se pourchassaient sur les toits et sur les branches des acacias, les roucoulements voluptueux d'une tourterelle au fa te d'un arbre et, au loin, le bruit aigu que faisaient, par moment, les essieux d'une charrette de paysan avan ant avec lenteur sur les pav s irr guliers de la Sadovaia, la grande rue de la ville et la plus l gante. Pr s de la place de la cath drale, immense, poussi reuse, d serte, une cl ture en bois fermait la cour de service de l'h tel de Londres, dont la plate et longue fa ade de trois tages, b tie en pierres grises et maussade comme un jour d'automne pluvieux, s'alignait sur la Sadovaia, sans balcons, sans pilastres, sans colonnes, sans ornements. L'h tel de Londres, le premier de la ville, tait renomm pour sa cuisine. La jeunesse dor e, les officiers, les industriels et la noblesse patronnaient son restaurant c l bre o un orchestre compos de trois juifs maigres et de deux Petits-Russiens, jouait, apr s-midi et soir jusque tard dans la nuit, de m diocres pots-pourris d'Eug ne On guine et de la Dame de Pique, de m lancoliques chansons populaires et des airs tziganes aux rythmes heurt s. Que de parties de plaisir s' taient donn es dans ce restaurant la mode, que de soupers brillants, que d' orgies pour employer l'expression en usage chez nous lorsqu'on parlait des f tes de l'h tel de Londres